Les prétendues « théories de la conspiration » sont elles ridicules ? Leurs propagateurs sont-ils dérangés ? L’effet Christophe Colomb.


Il y a de nombreuses années, j’eu l’occasion de vivre un petit événement caricatural !

Je me trouvais avec un groupe de personnes que je n’avais pas rencontrées auparavant et au cours des balbutiements d’une première discussion avec l’une d’entre elles, j’appris qu’elle étudiait la géographie.

On cherche souvent à alimenter la conversation avec des anecdotes personnelles. Il se trouve que j’avais lu peu de temps auparavant un article du journal LA RECHERCHE qui racontait comment les chercheurs modernes admettaient que Christophe COLOMB était, dès avant son premier voyage,  en possession de cartes représentant une partie de la côte américaine…. (euh, si vous êtes choqué par cette idée, marquez une pause, et allez faire un tour sur Wikipedia SVP https://fr.wikipedia.org/wiki/Contacts_trans-oc%C3%A9aniques_pr%C3%A9colombiens)

Je lançais donc innocemment le sujet sur le tapis, en racontant ma lecture et en demandant si en tant qu’étudiant en géographie, on entendait parler de ce genre de truc…

Ce jour là je n’ai rien appris sur le contenu des études en géographie, par contre j’ai appris quelque chose sur la manière dont les gens réagissent quand on leur parle d’une théorie non-orthodoxe, disons… qu’ils croient non-orthodoxe.

La figure de mon interlocutrice se décomposa  d’un seul coup ; j’essayais de rattraper le coup en affirmant que moi aussi j’avais été surpris par cet article, et que je ne m’attendais pas à rencontrer un article aussi iconoclaste dans un journal si « sérieux »… je rappelle que LA RECHERCHE est, ou était en tout cas à l’époque, le principal journal de vulgarisation de haut niveau en français.

Mais je voyais bien qu’elle ne m’écoutait plus, elle était visiblement en train de se demander comment on se retire d’une conversation avec un inconnu qui se révèle être un fou furieux. Sans déclencher une crise d’agressivité bien entendu.

J’appellerai donc cet effet (à l’issue d’une petite recherche il ne parait pas avoir de nom) : effet Christophe Colomb. On pourrait aussi parler de syndrome de C.C.

L’effet CC est ce qui se passe dans la tête de quelqu’un qui se trouve soudain confronté , par un canal non familier, à une information nouvelle ou contradictoire qui dépasse la latitude habituelle de sa culture sur ce point précis ou en général. Ce qui est caractéristique, c’est que la personne en question n’est pas seulement « alertée » par cette idée incongrue, ou même irritée. Elle ressent en fait une frustration intense, qui se manifeste par une gêne envers la personne vectrice de l’information. Cette frustration et cette gêne empêchent totalement la poursuite d’une conversation normale, un résultat normalement imprévisible si on considère seulement la portée de la déclaration initiale.

Faites l’expression suivante, la prochaine fois que vous rencontrerez une personne qui n’a que très peu de chance d’être musulman/juif/protestant et arrangez vous pour mettre le sujet sur le tapis, en feignant de croire que la personne est de confession musulmane/juive/protestante. Que va-t-il se passer ? (si la personne n’est effectivement pas musulmane etc.) Normalement, elle va immédiatement rectifier cette erreur, et si vous insistez que vous pensiez qu’elle était musulmane, qu’on vous a pourtant dit qu’elle était musulmane, etc. elle va chercher des arguments, vous démontrer que personne n’a jamais été musulman dans sa famille, qu’elle a été enfant-de-chœur dans sa jeunesse, etc. à la fin la personne se mettra peut-être en colère, au pire.

Je suggère cette expérience parce que pense que commettre une erreur sur la religion d’une personne et de sa famille touche évidemment une corde sensible de l’individu, mais ne produira pas un effet C.C.

Maintenant supposez qu’au lieu d’avoir brusqué des relations débutantes avec cette personne sur ce sujet personnel, vous ayez avancé au contraire que les soucoupes volantes sont un fait prouvé, ou bien que les américains ne sont jamais allés sur la lune, ou encore que les tours jumelles du WTC ne se sont pas écroulées suite aux impacts d’avions. Il y a des chances que votre interlocuteur/trice, au lieu de déployer la même stratégie que pour prouver qu’il ou elle n’est pas mahométan, va brusquement « décrocher », avec les symptômes évoqués plus haut….

Quelques temps après avoir écrit la première partie de cet article, j’ai fini par découvrir la théorie psychologique à laquelle on rattache habituellement ce genre de situation : c’est la théorie de la dissonance cognitive….

Il reste que cette théorie paraît surtout expliquer la résistance au changement et/ou le refus de faire marche arrière lorsque le sujet s’est beaucoup investi dans une idée, une entreprise, un partenariat.  Il n’est pas extrêmement aisé de voir comment ou pourquoi le même type de réaction paraît arriver aussi lorsque la discussion porte sur une question dans laquelle l’interlocuteur n’est pas personnellement investi ? L’effet CC garde donc son intérêt, provisoirement.

Et ce phénomène empêche souvent de discuter sérieusement diverses questions qui pourraient l’être tout à fait calmement, comme les expéditions lunaires, les événements du 11 sept. 2001, la théorie de la sélection naturelle, etc.

Ayant personnellement visité beaucoup de forums traitant de ces questions, j’ai souvent été témoins, en lisant entre les lignes, de l’intense effet de dissonance cognitive que paraissent ressentir les tenants DES THÉORIES OFFICIELLES. Les « chercheurs conspirationnistes » qui se posent des questions sont difficiles à caractériser, en dehors du fait qu’ils ont souvent une idée fixe, une idée porteuse qui est plus ou moins leur obsession. En dehors de cela, ils sont très peu polarisés contre la pensée « officielle » et ses motivations. Ils en parlent, mais ce n’est pas leur préoccupation centrale bien qu’ils puissent évidemment attribuer à certaines personnes ou organismes des intentions, une psychologie. Ils vaquent à leurs recherche, en quelque sorte et c’est seulement pour citer tel ou tel travail qu’ils évoquent les personnes à leur origine.

À l’inverse, on peut assez facilement visualiser l’état psychologique de leurs contradicteurs, les « débunkers ». Ces gens sont « effarés » de la naïveté des conspirationnistes, de leur ignorance, de leur crédulité, et ainsi de suite. Leur vision des thèses contestataires est sans-cesse ramenée à un problème de personnalité : les conspirationnistes « ont un problème » mental. L’ensemble de leur observations, de leurs recherchent viennent de ce problème, et par conséquent le travail du débunker est de les réfuter une par une, mais seulement parce qu’il ne peut pas commencer immédiatement le traitement psychiatrique de leurs propagateurs !

Dans son débunkage, le débunker ne procède par réellement à une ré-analyse du problème, il instruit un procès qui montre pourquoi les conspirationnistes ont tort de l’être. Cet ahurissement se retrouve jusque dans le tentatives qui se veulent les plus sophistiquées. Dans « Conspirations ou institutions » on trouve un titre de chapitre aussi ridicule que  « Est-ce qu’il existe une TdC relative au 11-septembre (sic) qui soit digne de foi ? » (ha ha je vous demande un peu, madame bouzigue). Au bout d’un moment, avec ces titres-questions (la réponse est dans le texte), on a l’impression de lire « la Tour de Garde » (journal des témoins de jéhova).

Pour un vrai scientifique, la question ne se pose pas de cette manière. Tout problème peut être discuté. Si une thèse « est fausse », elle doit quand même être discutée sérieusement, parce qu’elle pourrait tout de même contenir une parcelle de vérité !

En effet dans le monde, rien n’est complètement blanc ou noir. Il est prouvé que quand un phénomène potentiellement dangereux apparaît, une grande partie des gens s’enfuient, une partie reste sur place, et une petite partie se rapproche pour observer. Sur une question donnée, il est donc parfaitement normal que la population se divise en fractions qui ont des opinions différentes. C’est normal et surtout c’est sain. En effet toute la pensée de l’adulte est basée sur sa faculté à estimer la vraisemblance de tel ou tel phénomène, de telle ou telle affirmation (essayez avec « Dieu est bon » si vous avez besoin d’un exemple). Cela passe aussi par la faculté nommée « théorie de l’esprit », qui consiste attribuer une pensée, donc une intention à autrui.

Malheureusement le « réglage » de cette faculté (de méfiance) n’est pas possible en général. Donc il est normal qu’il y ait des gens « trop » suspicieux et des gens pas assez. Selon le sujet du débat,  ce ne sont pas forcément les mêmes personnes (il y a des tendances, mais comme le dit Miguel Chueca  » tout le monde croit au moins à UNE théorie de la conspiration » http://agone.org/revueagone/agone47, http://revueagone.revues.org/1050).

Prenons un exemple : les expéditions de la NASA sur la lune au XXème siècle. La durée et la complexité de cette entreprise fait que le témoignage global est forcément entaché (au moins) d’erreurs. Il est impossible qu’une telle masse de faits et de données ne contiennent pas d’erreurs, ne serait-ce que par omission, c’est humainement impossible.

Donc même si on supposait que la NASA et tous ses membres furent un organisme complètement transparent et entièrement de bonne foi de A à Z. les recherches des conspirationnistes pourraient avoir comme effet de découvrir des incohérences ou des erreurs involontaires ou non dans le témoignage, qui existent forcément, de même que dans tout article il y a au moins une couille.

En fait, dans la plupart des cas, seuls les chercheurs conspirationnistes peuvent découvrir ces erreurs historiques.

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Une autre façon de dire cela est que même si un raisonnement est juste dans l’ensemble il peut et doit y avoir un point faux, et même si un raisonnement est faux dans l’ensemble, il peut et doit tout de même contenir une parcelle de vérité.

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