Tombé de la dernière pluie ou « né » de la dernière pluie ?

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Lors d’un repas au restaurant je lâchai que je n’étais pas tombé de la dernière pluie…

L’ami qui m’avait invité me reprit car selon lui il fallait dire « né » de la dernière pluie.
J’avoue que sur le moment je fus un peu désarçonné tant il est vrai que « né d’une pluie » parait cohérent et que « tombé d’une pluie » par contre, qu’elle soit la dernière ou plus ancienne, ne semble pas très logique (on se voit plutôt tomber avec, ou pendant, une pluie).
Par ailleurs il me semblait bien que dans ma famille, j’avais toujours entendu la première expression, pas la deuxième, mais ce n’est pas une preuve naturellement.
Une rapide enquête sur internet m’apprit que la plupart des dictionnaires en ligne (qui se recopient probablement les uns les autres) semblent considérer les deux expressions comme équivalentes… et apparues toutes les deux au XXème siècle.
Un peu étonné de cette affirmation de contemporanéité (sans aucune source) je continuais ma recherche, mais plutôt dans les citations, pas dans les dictionnaires, ces soi-disant références…
Le résultat de cette deuxième recherche, à partir de renseignements de première main, fut tout à fait différent de la première :
On trouve des emplois de « tombé de la dernière pluie » dans la littérature du XXème siècle, comme dans Le Hussard sur le toit…. et même au XIXème, comme dans L’Anticlérical n°3 du 8 juin 1879.
On ne trouve aucune citation littéraire ou même journalistique de « né de la dernière pluie » avant la fin du XXème siècle. Elle ne se rencontre en fait que dans des blogs écrits en français « moderne » pour ne pas être trop méchant …
Conclusion : « né de la dernière pluie » est une expression récente très certainement issue d’une confusion avec l’expression « né d’hier » (ou « de la dernière couvée »).
« Tombé de la dernière pluie » est une expression traditionnelle française.
Il est donc dommage, et inquiétant, de voir que plusieurs de ces dictionnaires ou encyclopédies prétendument spécialisés dans les expressions françaises donnent carrément « né » comme l’expression de référence et « tombé » comme une simple variante… quand ils signalent cette forme authentique ! On a l’impression que certains de ces articles sont tout simplement écrits par des gens qui se basent sur leur propre français pour décrire la langue, ce qui peut évidemment conduire à n’importe quelle aberration. Quand j’étais enfant, j’avais compris « égloui par les phares ». Si on ne m’avait pas corrigé, je pourrai aujourd’hui pondre un article sur internet : Egloui (ou aussi ébloui)….
* On m’a signalé en ce mois d’avril 2013 une référence soi-disant plus récente pour « né de la dernière pluie ». Le système de référence en ligne de la bibliothèque de France (mais ne pas confondre SVP la France, et la langue française…merci) « Gallica » renvoie pour cette expression un lien vers le « Grand Larousse de la langue française en sept volume » (fichtre) qui lui-même pointe vers  » n’être pas né de la dernière pluie, 1959, Robert » ce qui ressemble donc tout à fait à une caution littéraire dudit Robert.
Un peu de recherche supplémentaire (je n’ai pas pu accéder au Robert lui-même au moment où j’écris ces lignes…) jette toutefois un doute sur la validité du Robert :
– 1959, qu’on prend à première vue pour une date à laquelle l’expression aurait été relevée, est en fait la date de publication du (premier) Robert, pour la lettre N…
– la bonne expression « tombé de la dernière pluie » ne se trouve pas dans ce même ouvrage, ou en tout cas pas dans le GLLF…
Il se pourrait donc que Robert, sur son coin de bureau à Casablanca, ait juste fait le type d’erreur qu’on retrouve plus tard chez Petit lexique du franc parler en images ou près de 1000 expressions françaises par thèmes d’illustration/Caloone, Christine -Editions Le Manuscrit-2005 par exemple…. prendre son petit français personnel pour la référence de la langue.
J’ai tout de même fini par trouver un « né de la dernière pluie » de 1932 dans Bec et ongles » (une feuille de chou syndicaliste). Qui dit mieux ?
PS Brassens ne se MOUILLE pas, qui écrit : « petit con de la dernière averse »…

2 commentaires

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  1. boubou

    Je pense qu’il y a eu amalgame au cours des ans avec l’expression de « panais de la dernière pluie »… Comme les anglais ont traduit le vair de la pantoufle par le verre … C’est un malentendu non ?

    • stefjourdan

      « panais de la dernière pluie » ressemble à un jeu de mot de personnes qui n’opposent pas [e] (comme dans né) et [ɛ] comme dans niais. Ce jeu de mot approximatif ne peut être à l’origine de notre confusion. Comme cela est expliqué dans l’article, c’est tout simplement l’expression « né(e) d’hier » qui s’est « amalgamé », comme vous dites, avec la bonne expression.

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